PORTRAITS
Témoignages de femmes engagées contre la maladie
Auteur du livre « Endométriose : la maladie taboue » et administratrice du blog alter_endo
Certaines notes de synthé sont promptes à redonner santé, à permettre de ne plus se sentir abattue, mais de batailler avec liesse. Haut les coeurs ! Quand Marie-Anne s’engouffre dans la déferlante mélodique de Maniac, ce n’est que pour en ressortir extatique : « Cette chanson de Flashdance me donne envie de danser direct ! Même si derrière on les paye cher, les moments de folie sont une libération qui passe outre la maladie. » Aussi, la fondatrice du blog Alter Endo apprivoise son encombrante « amitié avec l’endométriose », et s’évertue à renverser les termes d’une relation qui s’est imposée à son corps défendant – « je me suis d’abord levée un matin avec une douleur horrible au ventre. » Plus que de multiples opérations et traitements hormonaux, plus que d’utopiques solutions et régimes à gogo – « je me suis transformée en hamster à force de manger des graines » –, Marie-Anne a trouvé dans la résilience l’implacable tonique : « L’endométriose se vit chaque heure, chaque seconde. J’avance en acceptant qu’elle ait toujours un impact sur moi. » Et si le temps de l’insouciance ne carillonne plus que dans les réminiscences – « je n’arrive pas à croire que j’aie déjà été normale ; c’était le cas il y a vingt ans, mais j’ai l’impression que c’était il y a deux-cents ans ! » –, l’instinctive sut opposer, à certains rêves délavés, des réalisations auxquelles elle n’aurait jamais osé songer. À commencer par cette romance avec Nicolas, celui qui « l’a acceptée avec tout le package, et sans se plaindre ». Il y eut aussi cette fois où elle prit le dessus sur les mathématiques et leurs sacro-saintes probabilités, et donna naissance à un fils dont le prénom résonne avec ses origines, là où souffle le vent du sud – « Nino, le zébrion ! » Surtout, l’écolière qui laissait des mots bleus un peu partout dans la maison de sa « nonna », l’adolescente qui noircissait des pages et des pages de récits à dormir debout, finit par publier celui de cette maladie qui l’a souvent obligée à rester couchée. C’est par ce livre que l’engagement et le sourire de Marie-Anne prirent une ampleur inespérée : « Le jour où la maison d’édition Fayard m’a contactée pour écrire sur l’endométriose a été l’un des plus beaux de ma vie ! Voir mon livre sur les étagères des librairies, c’était voir un désir inavoué s’accomplir. » Un point d’orgue atteint des années après que la résistance solitaire devint lutte salutaire, lorsque Marie-Anne s’embrasa en comprenant que son cas isolé était légion : « J’ai découvert sur les réseaux sociaux que des milliers de femmes souffraient comme moi. Ce sentiment d’injustice était insupportable. » Il n’en fallut pas plus pour que son alter ego, Lilli H, s’empare de la plume pour chroniquer son mal chronique. Son mouvement pionnier fédéra alors par-delà les écrans, quand les endogirls défilèrent avec cran dans les rues de Paris – « Regardez ! France 2 parle de nous ! »
Marie-Anne a beau croiser les doigts pour la pérennité de sa rémission, elle sait d’ores et déjà qu’elle n’arrêtera pas ce flot mêlé de compassion et de colère qui alimente sans cesse le lit de ses efforts : « Ça coule dans mes veines. Alter Endo est le prolongement de mon histoire, et apporte des infos pour vivre le plus sereinement possible avec l’endométriose. Je ne pourrai jamais laisser tomber. » Reportages et discours de prévention ont beau fleurir çà et là, les répercussions sont encore loin de se faire entendre plus loin que le b.a.-ba : « L’endométriose est un enjeu majeur, c’est un problème qui concerne tout le monde ! Car elle affecte aussi la famille et l’entourage des femmes qui en sont atteintes. Il y a encore beaucoup à faire. » Ses amis peuvent donc plaisanter au sujet de ses retards systématiques, d’aucuns ne pourront ignorer l’importance de cet unique rendez-vous pour lequel Marie-Anne arriva en avance, elle qui sut s’élever à l’aube contre La Maladie Taboue.
Par Trafalgar
Présidente de l’association Endomind
S’ils n’ont pas fonction d’assommoir, les coups de tête de Nathalie ont toutefois l’intention sommaire de s’envoler ! Celle qui a l’avantage de pouvoir emporter « son bureau dans ses valises », et qui planifie avec prévenance les voyages jusqu’à satisfaire les caprices les plus ubuesques – « on m’a déjà demandé d’organiser une soirée de noël à Las Vegas pendant le mois de juin » –, s’occupe de ses propres équipées sans en avertir les pages de son calendrier.
Ainsi ses offices ont-ils pu se défaire des sempiternels néons blancs et moquettes grises, pour se planter sur les côtes ensoleillées de Savone ou du Maroc. La fille de militaire n’a donc pas attendu de permission pour traquer cette liberté qui ne lui a jamais fait défaut, contrairement à son organisme qui, en une nuit, s’est détraqué : « Je suis allée voir trois hôpitaux à la suite, et je me suis finalement retrouvée sur la table d’opération sans même savoir ce qu’il se passait. Quand j’ai compris que je venais de subir une ménopause artificielle, je suis tombée à la renverse. » Nathalie eut beau apprendre à nager très tôt en eaux troubles – « plus petite, j’habitais au Tchad, et je me baignais dans une rivière dont on ne voyait pas le fond, au milieu des hippopotames ! » –, il demeure difficile de ne pas être engloutie par l’endométriose, cette maladie qui se barricade dans les corps : « On ne me fera plus avaler aucun traitement. Il ne faut pas subir sa prise en charge, même si la douleur nous fait parfois oublier notre cerveau. » Un flambeau que Nathalie brandit depuis qu’elle sait que ces pierres, qui jonchaient son parcours de santé il y a quinze ans, sont celles sur lesquelles d’autres trébuchent encore. Afin que sa voix puisse porter, elle l’amplifia en fondant l’association ENDOmind, dont la consonance anglo-saxonne fait écho à son ascendance internationale, à cette enfance nomade dont elle tire aujourd’hui satisfaction : « J’aime l’idée de ne connaître ni racines ni frontières ; on voulait donc un nom ouvert sur le monde. Notre but est d’améliorer le suivi médical, et de faire connaître la maladie au plus grand nombre, en passant notamment par les relais institutionnels et politiques. » Parce qu’accueillir la détresse des patientes aurait de quoi fêler sa carapace « d’insensible » – « je ne saurais pas comment les réconforter. Voir un enfant se faire gronder suffit à me serrer le coeur » –, Nathalie préfère hisser son engagement au niveau des sphères décisionnelles, avec l’espoir que l’endométriose, qui n’a eu de cesse de la tenir en joue, puisse désormais devenir enjeu.
Entre l’organisation de la première course à pied dédiée à l’endométriose, et les sollicitations médiatiques de bon augure, Nathalie voit ses journées filer à toute allure et ses responsabilités décliner les pauses : « En revanche, je ne l’autorise pas à empiéter sur ma vie, et refuse d’écouter cette douleur. » Rien ne saurait l’empêcher de retrouver un peu « de bleu et de vert », de brise marine et d’étendues luxuriantes, ou le rouge de ce crépuscule qui, aux abords du Nil, escorte la révérence du jour dans une lumière d’ambre. Une scène qui l’aimante depuis tant d’années, qu’elle salue toujours d’un thé à la menthe et d’un visage apaisé.
Par Trafalgar
Journaliste auteur du livre « Une araignée dans le ventre : mon combat contre l’endométriose »
Au fil des pages et des personnages, son irréconciliable caractère d’ermite sociable s’égrène, et ses réflexions les plus sombres comme ses pensées les plus claires trempent dans l’encre qui draine : « Quand j’écris pour moi, j’ai l’impression de me dédoubler. Je me retrouve aussi bien sous les traits d’un vieillard que sous ceux d’une jeune femme. » Il suffit de grimper aux branches de l’arbre généalogique pour comprendre que la propension d’Anne à verser dans l’imaginaire tient plus des aînés que de l’acquis.
De ces deux amis caricaturiste et magicien qui, en un tour de passe-passe, se firent la belle en temps de guerre, et devinrent bientôt d’inspirants grands-pères – « j’ai toujours été l’originale de service. Mon rêve, c’était d’être clown sur un cheval. » Mais les fantaisies équestres s’estompèrent dans une réalité qui séquestre ; la journaliste doit en découdre avec cette Araignée dans le ventre, dont la toile s’est tissée insidieusement jusqu’à engluer les espérances : « L’endométriose frappe souvent à l’âge où tout reste à faire. Ça coupe les ailes en pleine ascension et redessine les perspectives. Avant, je ne pensais qu’à ma carrière ; je suis repassée par la case famille en acceptant que je ne pourrais jamais en construire une. » Par un post-it tombé à pic, la mère d’Anne lui suggéra d’armer sa plume pour expier sa part d’ombre – « j’ai appelé ce fantôme Equus, en référence à un film, un drame psychologique terrifiant ! » ; elle prit alors son parcours à rebours et cessa « de faire l’autruche » face à cette maladie qui a le don d’ôter à ses hôtes les mots de la gravité : « À force d’entendre les médecins me dire que ce n’était rien, j’ai fini par m’en persuader. Mais en reprenant mon dossier, mes agendas et mes journaux, j’ai pris conscience de ce que j’avais traversé. »
Anne avait été cette « malade cancre », douée pour tomber dans les écueils, cette pigiste qui ne pigeait pas son affliction malgré l’avalanche de consultations. Le constat céda au courroux, la patiente à la femme, qui gratta des feuillets entiers d’envolées métaphoriques et de volées cathartiques : « J’ai voulu montrer l’importance d’être informée. Se renseigner sur l’endométriose, c’est la règle numéro 1. On ne choisit pas sa gynécologue juste parce qu’elle est sympa ! » Si ces confidences agissent « comme une loupe qui grossit la place occupée par l’endométriose », Anne sait aussi profiter de l’amour impromptu et des amitiés éperdues, de la bonne bouffe, du bon vin et des fiestas jusqu’au lendemain – « je sais que les excès sont à éviter… » : nombreux sont les fragments de lumière qui viennent percer le cloître de la maladie. Il y a enfin ce premier roman dérivé de son passé de chroniqueuse judiciaire, resté en couveuse dans l’attente d’éclore chez un éditeur. Un livre pour lequel Anne est partie chasser ses hantises à la proue d’un bateau amarré dans les Antilles, étape d’un exil créatif qui passa aussi par le royaume des
outardes dans les déserts du Maghreb.
Aujourd’hui, l’écriture a fini de gouverner la routine : l’auteure a rendu sa carte de presse et réalise « un putsch » auprès de ses proches pour les persuader que l’achèvement de son deuxième roman exige une pleine astreinte – « je suis un peu monomaniaque. Pour l’heure, il n’y a que ça qui compte. » Et voilà qu’elle abreuve ce nouvel ouvrage dans le Golfe du Morbihan, flanquée de son caniche à dreads, et que la musique de Chopin accompagne celle des vagues et de leurs raids. Ne vous égosillez pas à déplorer cette situation initiale usée jusqu’à la corne ; Anne reconnaît volontiers que le panorama a tout du cliché. Et c’est pourtant dans cette honorable solitude qu’elle développe ses plus belles paroles, car la discrète le sait : les écrits parlent quand l’Homme se tait.
Par Trafalgar